Hommage à Paul Eluard

Hommage à Paul Eluard

Madeleine Riffaud :
Il y a 70 ans, mon ami Paul Éluard décédait.
J’étais une des premières à entrer chez lui, j’avais la clé.
Huit ans plus tôt, il me sauvait la vie… Il était d’une bonté indomptable.
Je l’ai rencontré un soir, devant un petit café rue Troyon, près de l’étoile, le 11 novembre 1944. Il a donné à ma vie la bonne direction.
J’étais une très pauvre petite fille. J’avais passé un mois rue des Saussaies (siège de la gestapo) et dans une cellule de Fresnes. Je n’arrivais pas à me réadapter. J’aurais pu, comme beaucoup de mes camarades survivants, en réalité, être morte. Ne pas pouvoir me réadapter à la vie normale.
Ce jour là, il faisait très froid, il portait un gros pardessus. Il a regardé mes yeux morts et il m’a dit : « Qu’est ce que tu fais ma petite maintenant ? Tu fais quoi ? »
Les larmes me sont montées aux yeux et j’ai répondu « Je ne travaille pas, je ne sais rien faire et puis je suis malade ».
Il m’a dit « Écoute, viens chez moi demain, absolument ». Il m’a parlé comme à quelqu’un qui était en danger. En danger de mort. Et je l’étais, en effet. J’étais perdue.
Il m’a laissé sa carte de visite.
J’y suis allé.
Et là, avec sa femme, Nusch, ils ont lu mes poèmes de guerre et de prison.
Il m’a dit : « C’est formidable, je vais les publier. Mais la poésie ne fait pas vivre. Moi-même, parfois, je dois vendre une toile, offerte par un de mes amis. Il te faut un vrai métier ! Tu seras journaliste, je fais une lettre à Aragon qui dirige le journal Ce Soir. Et reviens ici, surtout, quand tu voudras. »
Il m’a reprise en main, sans lui j’aurai sans doute été perdue.
C’est le hasard.
Il avait donc écrit la préface de mon premier recueil de poèmes : Le poing levé.
Je lui dois la vie, ce n’est pas rien.
Je pense à lui chaque jour, et aujourd’hui encore un peu plus.
Éditions Dupuis
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