La Shoah au-delà du témoignage

La Shoah au-delà du témoignage

Après « l’ère du témoin », la littérature peut participer à perpétuer la mémoire, rappelle un recueil d’« écrits des camps ».

n an avant sa disparition, l’écrivain Jorge Semprun nous avait accordé un entretien, chez lui à Paris, pour la publication de son dernier livre (1). L’ancien « Espagnol rouge » et membre de la Résistance française, matricule 44904 au camp de Buchenwald, plaidait pour que la mémoire de la déportation soit « ouverte ». Car « l’ère du témoin », pour reprendre l’intitulé de l’historienne Annette Wieviorka (2), est en train de s’achever. L’auteur du film Shoah, Claude Lanzmann, venait alors d’attaquer l’écrivain Yannick Haenel pour avoir romancé la vie de Jan Karski (3), ce résistant polonais qui tenta d’alerter Roosevelt sur les chambres à gaz. Semprun lui répondait ainsi dans Politis : « Je ne veux pas polémiquer avec Lanzmann. Je crois néanmoins que, sur le plan du principe, littéraire en général, la fiction doit prendre le relais. […] Les témoins vont progressivement disparaître. Il faut donc, à mon avis, que la littérature s’empare de cette mémoire, comme elle s’est emparée d’événements du passé, comme la guerre de Trente Ans ou la guerre 14-18. Aujourd’hui, il n’y aurait plus rien sur 14-18 s’il n’y avait pas les romans. »

Il reste toutefois que les textes des survivants des camps nazis conservent une force incommensurable de témoignage des horreurs auxquelles ils ont assisté. C’est toute la force de ce volume de la « Pléiade » que de regrouper une sélection soignée de cette « littérature des camps », du classique La Nuit d’Elie Wiesel aux incontournables L’Univers concentrationnaire de David Rousset, L’Espèce humaine de Robert Antelme ou L’Écriture ou la vie de Jorge Semprun. Sans oublier l’œuvre magistrale de Charlotte Delbo, qui, dans Auschwitz et après, relate non seulement sa propre expérience du camp, mais surtout celle du retour dans leurs familles de ses quelques camarades qui ont survécu… Et, bien entendu, le texte du grand poète Jean Cayrol, revenu de Mauthausen après y avoir fait face aux « portes de la mort », qui constituera, avec l’aide de Chris Marker, la voix off du film Nuit et Brouillard d’Alain Resnais, prix Jean-Vigo 1956.

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