La Fabrique de l’Histoire
Le matin du vendredi 3 septembre 1943, un coup de tonnerre ébranle l’Hôtel du Parc à Vichy. Le cabinet du maréchal Pétain apprend l’évasion, dans la nuit, du général Jean de Lattre de Tassigny.
Lâché par ses officiers, le général avait été arrêté le 12 novembre 1942 pour avoir voulu s’imposer par la force à l’invasion de la zone libre par les troupes allemandes.
Condamné à dix ans de réclusion à la prison Montluc de Lyon, puis, le 2 février 1943, transféré à Riom dans l’ancienne cellule de Daladier, Il n’avait qu’une idée en tête : s’évader.
Simone de Lattre, sa femme, loua aussitôt une chambre dans une maison dont le jardin se trouvait en face des murs de la prison. En avril, Bernard, le fils de Lattre, vint à son tour la rejoindre avec la volonté d’aider son père à s’évader :
_ Ma petite maman, tous deux nous voulons absolument faire évader papa. Il faut le faire comme dans les romans policiers : scier les barreaux et sauter le mur.
Et, comme sa mère restait sceptique :
_ Il faut des gens qui risquent tout, même leur vie : toi, moi et si tu veux, Louis.
La foi de Bernard finit par convaincre sa mère. Simone prit alors contact avec le fidèle chauffeur de son mari, Louis Roetsch, qui se mit sans hésiter à leur disposition pour organiser l’évasion.
Louis s’assura un minimum de complicité parmi le personnel de garde : un gardien, Leblanc, favorable au général et un gendarme, Gourset dit Bouboule, qui n’aimait pas les Allemands.
Les conditions de détention n’étant guère rigoureuses, Simone et Bernard, rendaient visite régulièrement au prisonnier sans jamais être fouillés. C’est ainsi que Simone parvint, sous quelques fleurs, à faire passer à son mari une vrille et une scie à métaux que lui avait procurées Louis.
Le 26 août, le général se mit à l’œuvre. Avec sa femme, ils dressèrent une sorte d’échafaudage composé d’une petite table et d’une chaise superposées. Le général au sommet commença à scier un des barreaux.
Ensuite, Simone raconte :
« En sciant le barreau, Il avait chaud, ne disait rien, n’arrêtait pas. Et moi je parlais sans arrêt, de tout et de n’importe quoi à haute voix, faisant les demandes et les réponses. »
Après trois quarts d’heure de travail acharné, de Lattre, triomphalement, présenta le barreau scié. L’ouverture ainsi faite mesurait 29 cm de large et 65 cm de haut. Le barreau fut ensuite remis en place et maquillé.
Dans la nuit du 2 au 3 septembre, toujours selon Simone :
« Il descendit dans la cour grâce à une corde introduite dans la prison par Bernard et franchit ensuite l’enceinte extérieure par une échelle de corde fournit par Louis qui l’attendait derrière le mur… »
Bouboule, de garde à l’extérieur cette nuit-là, tournait la tête.
La retraite prévue par Louis pour l’évadé était située en pleine montagne, dans une petite ferme à Compains.
Son évasion eut un formidable succès de propagande. En représailles, cinquante-quatre gardiens de la prison ont été arrêtés et le directeur de l’administration pénitentiaire fut relevé de sa fonction.
Dans la nuit du 16 au 17 octobre, un avion allié se posa clandestinement sur un point d’atterrissage situé non loin de Mâcon. Charles Dequenne, un homme à l’épaisse barbe noire habillé en paysan, monta à bord et s’envola pour l’Angleterre. Ce barbu, c’était de Lattre.
Le 15 août 1944, nommé à la tête de la 1re armée, de Lattre sera aux premières loges du débarquement en Provence. Et, dans la nuit du 8 au 9 mai 1945, il signera pour la France l’acte de capitulation de l’Allemagne.