Dissidence et résistance aux Antilles et en Guyane pendant la Seconde Guerre mondiale

Dissidence et résistance aux Antilles et en Guyane pendant la Seconde Guerre mondiale

Les articles de la rubrique Idées n’expriment pas nécessairement le point de vue de l’organisation mais de camarades qui interviennent dans les débats du mouvement ouvrier. Certains sont publiés par notre presse, d’autres sont issus de nos débats internes, d’autres encore sont des points de vue extérieurs à notre organisation, qui nous paraissent utiles.

es terres de Guyane, de Martinique, de Guadeloupe et ses dépendances1, sont en 1939-1945 des lambeaux caribéens de la colonisation française ayant débuté au XVIIe siècle. On disait alors qu’elles étaient de « vieilles colonies ».

 

Or en 1939, il y a moins d’un siècle que l’esclavage a été aboli (1848) et 108 ans (depuis 1831) que la traite négrière devenue clandestine a été surmontée. Ces nouvelles sociétés post-abolitionnistes ont affronté de nombreux drames en quatre-vingt-dix ans.

Une société post-abolitionniste face à ses traumatismes

Ce furent d’abord les 18 années du régime de Napoléon III pendant lesquelles une fraction des anciens maîtres a cru pouvoir revenir sur les acquis des révoltes de mai-juin 1848 et a fait perdurer les préjugés racistes, les rigoureux modes de vie ségrégationnistes et les pratiques bien affirmées d’exploitation de classes.

Ces sociétés vécurent ensuite les trois phases de la terrible crise du sucre de canne entre 1884 et 1910, entraînant une affreuse misère dans les campagnes tant pour les afro-descendants que pour les émigrés récents (Hindous, Chinois et Congos, ces derniers aussi afro-descendants). Cette débâcle a généré une résistance populaire suivie en contrepoint de multiples massacres d’ouvrierEs agricoles comme par exemple celui de février 1900 au François (en Martinique) ou de l’usine Sainte-Marthe en février 1910 (en Guadeloupe) ou à Capesterre en mars 1910 (toujours en Guadeloupe). La Guyane pour sa part connut les tragédies liées au bagne (répression des fuyards et des révoltés chez les relégués et les déportés) et de récurrentes émeutes populaires dans d’autres secteurs.

Ces sociétés subirent encore, dans l’entre-deux guerres, les enchaînements catastrophiques du contingentement du rhum que les planteurs s’appliquèrent à faire payer aux ouvrierEs d’usine et de champs par des despotiques baisses de salaire. Ce fut de nouveau, une époque de fermes luttes des travailleur/ses face à une répression brutale et meurtrière et d’assassinats de militants syndicaux et politiques (dont André Aliker en Martinique en 1934). La célèbre marche de la faim en février 1935 à Fort-de France est -ne illustration de cette vigoureuse riposte. Cette faim des pauvres et surtout des gens des campagnes pour ces trois zones, n’était que le prolongement dans tout le bassin caribéen de la crise capitaliste mondiale de 1929.

Toutefois, avec cette résistance populaire consistante dès la fin du XIXe siècle, un mouvement syndical endurant, axé sur la lutte de classes, se développa pour aboutir, au moment du Front populaire dans les années 1930, tant en Guadeloupe qu’en Martinique, à des affiliations à la CGT. Concomitamment, l’idéologie socialiste s’ancrait (voir un article de Rosa Luxemburg en 1898 sur Hégésippe Légitimus en Guadeloupe) tandis que l’idéologie communiste en Martinique put arracher l’élection d’un conseiller général en 1937.

La petite bourgeoisie noire et mulâtresse émergente et le vibrant rêve français

Cette ébullition des idéologies socialistes et communistes, mûrie par un jaillissement de l’action syndicale combative qui payait de lourds tributs humains, venait-elle en contrepoint de la pratique politique des Républicains, issus des couches élitistes des Noirs et des mulâtres ?

Ceux-ci, pendant soixante-dix ans, avaient d’abord intégré quelques activités économiques lucratives dans les distilleries traditionnelles, s’étaient implantés dans les professions libérales et les fonctions administratives, avaient acquis largement, sous la Troisième république, les mandats politiques, s’étaient montrés farouchement opposés à la « plantocratie des Blancs créoles » (comme ils disent) quand bien même ils réalisèrent plusieurs fois des compromis incontestablement douteux.

Leur républicanisme s’habilla de la glorification de la République de 1792 abolissant l’esclavage, le 4 février 1794 (16 pluviôse an II).

Ils s’attachèrent de même, sentimentalement, aux abolitionnistes des années 1820 à 1848 comme Schoelcher, Arago, Isambert et même aux plus modérés de la Seconde république de 1848 Garnier-Pagès, Lamartine ou Armand Marrast.

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