JNR 2019 : Discours de Robin Renucci
Texte prononcé par Robin RENUCCI , Directeur des Tréteaux de France, place de la République le 27 mai 2019
à la Journée nationale de la Résistance :
« Je salue ici l’événement qui nous rassemble aujourd’hui, 27 mai, dans Paris libéré ;
Je salue ici chacune de vos présences, si nombreuses que, pour en appeler à notre plus grand dénominateur commun, femmes et hommes libres de Paris ou d’ailleurs, j’ai envie de vous saluer tous sous un même mot d’ordre, celui de « citoyens ».
– Citoyennes vous l’êtes, toutes les associations et institutions mémorielles et culturelles qui, comme le Comité Parisien de la Libération, entretiennent la mémoire de la Résistance, de la répression ;
– Citoyennes aussi, toutes les victimes de la déportation, les victimes des
persécutions, qui ont résisté, jusque dans les camps.
– Citoyenne, Madame la Maire de Paris, citoyens aussi, Mesdames et Messieurs les élu.e.s, malgré votre absence en ce jour d’un évènement pourtant inscrit au calendrier républicain, vous manquez aux cotés d’une centaine d’associations et fondations citoyennes, représentées par les réseaux de résistance, les amicales des camps, les forces syndicales, les musées de la Résistance ;
– Citoyens, vous aussi, écoliers et enseignants engagés par votre présence dans une prise de relais qui s’exprime à travers les chorales, les ateliers de théâtre…
Ce 27 mai est la date anniversaire de la première réunion du CNR, le Conseil National de la Résistance.
Il y a 76 ans, jour pour jour en 1943, dans la rue du Four, le CNR se réunissait sous la présidence de Jean Moulin qui sera arrêté trois semaines plus tard.
Aujourd’hui, nous ouvrons officiellement les cérémonies de commémoration des 75 ans de la Libération de Paris, qui seront jusqu’en août l’occasion de mesurer notre chance de vivre dans Paris Libéré.
75 ans, cela couvre l’étendue d’une vie humaine ; les témoins et acteurs directs de la Libération de Paris sont ici pour rappeler l’héroïsme des disparus et transmettre la flamme de la liberté aux Jeunes, qui atteignent aujourd’hui l’âge qui fut pour eux en 1944, celui de l’engagement politique et citoyen.
C’est ici que l’Histoire se transmet et se rejoue.
Sur cette Place de la République, où la caserne de la Garde Républicaine a été l’un des derniers théâtres des combats de 1944, pour reprendre Paris à l’ennemi.
L’ennemi a le visage du totalitarisme et de la barbarie, du rejet des différences, de la persécution de l’autre.
L’ennemi, il faut le rappeler chaque jour, cherche sans cesse à reprendre l’offensive, y compris par les urnes : le dernier scrutin européen n’a pas été épargné. Au coeur des enjeux du monde libre, les élections d’hier expriment à nouveau des régressions tentées par le repli sur soi, l’exclusion des étrangers, la pensée unique, la confiscation des pouvoirs démocratiques…
C’est pourquoi nous sommes là, 75 ans plus tard, pour garder vivant un événement si proche de nous et de notre actualité politique et européenne.
Je suis heureux, en ce 27 mai qui nous réunit, de m’adresser aux lycéens qui interviennent par le théâtre, à l’issue d’une série d’ateliers avec les Tréteaux de France, Centre Dramatique National que j’ai la chance de diriger.
Chers élèves du Lycée Victor Hugo, vous avez suivi nos ateliers animés par la comédienne Judith d’Aleazzo et votre professeure Lucille Perello. Sur un texte en deux parties de Évelyne Loew, vous remettez en scène l’héroïsme d’une génération qui a su triompher du fascisme, du nazisme et de la barbarie… et vous avez appris, jeunes amateurs de théâtre, que votre pratique des arts est un héritage direct du CNR.
J’ai envie de vous relire un extrait de son programme historique, auquel je dois la chance d’avoir pu m’élever, en devenant homme de théâtre autant que citoyen.
Dans son chapitre « social », ce programme adopté à l’unanimité par le Conseil National de la Résistance sous le titre « Les Jours Heureux », défend :
« La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires. »
Les acquis de ce programme visionnaire sont nombreux, vous l’avez appris aussi, à travers nos ateliers de théâtre…
Cette ambition — pour l’instruction comme pour la culture — reste à défendre, aujourd’hui encore, a fortiori en 2019, année du Droit des Enfants : à nous de réaffirmer combien l’instruction et la pratique des arts nous éveillent, forgent les armes de la liberté, la capacité de résister.
La Résistance, n’en parlons pas au passé.
Vous êtes nés, cher.e.s élèves, dans un pays libre et riche — instable, pas toujours rassurant, mais en paix…
Ce monde privilégié n’appelle pas moins des combats, dont votre génération est consciente, avertie. Déjà peut-être, vous apprenez à résister, dans les associations d’Éducation populaires, dans la rue et sur les places comme celle où nous sommes, par le service civique, avec les moyens de pression des réseaux sociaux ?
L’engagement est un lieu d’apprentissage et même « une grande école de la vie ».
Vous pourrez retrouver sur le net un échange sur « l’acte de résister » qui m’a laissé un souvenir ému ; sur un plateau de télévision, le trompettiste et compositeur Ibrahim Maalouf interroge le philosophe et Résistant de la
première heure, Edgar Morin.
Précisons que l’un et l’autre sont issus d’une immigration dont la diversité et les talents contribuent à la richesse de la Nation, au fil des générations et des mouvements de populations !
Le musicien Ibrahim (né en 1980) dit à son aîné, Edgar (né en 1921) :
-« J’ai une question, de ma génération à la vôtre…
Comment résister ? Comment doit-on résister ?
-Ce à quoi le philosophe répond :
-« Vous savez, on était peu nombreux, dans la Résistance au début. On est devenus une majorité dans les derniers jours ; le tout est de ne pas avoir peur d’être une minorité.
À cette époque, j’avais des amis qui étaient arrêtés, qui étaient torturés, le pays souffrait, j’étais bien dans ma peau. J’étais heureux, dans un pays malheureux. Pourquoi ?
Parce que je faisais ce qui me semblait juste et bien. Résister, c’est ça.
Moi, j’identifie deux forces de barbarie :
-la 1ère, connue depuis le début de l’histoire, c’est le mépris, c’est la torture, c’est le massacre. Elle continue de déferler partout — en
Syrie, au Moyen-Orient.
-la 2e forme de barbarie, née à l’intérieur de notre civilisation si développée, c’est la barbarie froide et glacée du calcul et du profit.
RÉSISTER, c’est ne pas marcher là-dedans ; ne pas acheter des produits qui n’ont aucun sens, c’est notre façon de résister.
Contre la barbarie de la haine et contre la barbarie du calcul et du profit, n’attendons pas d’être des millions pour résister ».
Que faut-il ? Une nouvelle guerre ? L’apocalypse ? Que faut-il ? Des millions de morts encore ?
Que faut-il pour que la conscience des responsabilités face à l’avenir, le partage et l’humanisme deviennent des évidences ?
Est-ce qu’il faut encore une fois que la maison commune brûle pour que tout le monde s’unisse pour la sauver ?
Non, je ne veux pas le croire, je ne veux pas croire que les enseignements du passé seront inaudibles. Je ne veux pas croire qu’il faille de nouvelles catastrophes pour que chacun intègre, en son être le plus intime, la conviction que le racisme et l’intolérance, la rapacité, le cynisme, le rejet de l’autre et le manque de respect mènent à la catastrophe.
Je veux croire au contraire à la réflexion, à la fidélité, à la transmission des valeurs.
Je veux croire que l’Histoire donne à penser. Qu’elle aide à s’élever à la hauteur
des défis, toujours nouveaux. Car c’est simple et c’est compliqué.
Oui, il faut réfléchir. En 1914 il fallait défendre la paix, en 1940 il fallait faire la guerre, résister. Elle est à chaque fois différente l’actualisation des belles valeurs de notre République : Liberté, Egalité, Fraternité.
Dans cette incroyable épopée de la Résistance française,
c’est l’unification de la Résistance intérieure – réalisée par Jean Moulin, Pierre Brossolette, par le Conseil National de la Résistance – , c’est le dépassement des sectarismes – ce n’était pas évident – , c’est l’unité de commandement, sont les Alliés – cela non plus ce n’était pas évident -, c’est l’espoir en dépit de tout, qui ont permis la Libération.
Pour finir avec Ibrahim et Edgar, le musicien et le philosophe, je partage leur conclusion :
-la Résistance, ça commence partout où nous sommes capables de nommer, haut et fort, ce qui nous aliène.
Haut et fort… C’est à vous maintenant, amateurs et amoureux du théâtre, d’investir cette scène, en fervents héritiers du CNR.
Merci d’avoir participé à nos ateliers avec un si bel engagement ; et quel que soit votre âge, continuez à vous dépasser dans la pratique des arts, tout simplement parce que tout en nous réjouissant, cette pratique augmente notre exigence critique, notre aspiration citoyenne, notre relation aux autres et au monde.
Un dernier mot pour remercier la somme de tous les engagements qui font le succès de ce 27 mai 2019 ; merci aux efforts des nombreux organisateurs pour maintenir vivant l’esprit de la Libération ; l’action des Tréteaux de France doit beaucoup aux coordonateurs de la journée, attachés comme nous à faire vivre l’esprit du CNR dans les établissements scolaires ; l’action des Tréteaux de France doit également beaucoup à Madame la Proviseure du Lycée Victor Hugo ; à leur professeur et bien sûr aux lycéens de la classe de seconde .
Merci à Toutes et Tous ».