Documentaire. « Les 7 vies de Madeleine Riffaud » de Jorge Amat.

Documentaire. « Les 7 vies de Madeleine Riffaud » de Jorge Amat.

Tous les jours à 13h au Cinema saint-André des Arts.

« Combattante en quête de vérité
À partir d’archives et d’entretiens, Jorge Amat retrace le parcours de la résistante, poétesse et journaliste qui couvrit pour l’Humanité les guerres d’Algérie et du Vietnam.
Les 7 vies de Madeleine Riffaud
de Jorge Amat
France, 100 minutes
Une existence, l’écriture, trois guerres et un amour. Dans un documentaire où s’entrelacent images d’archives et longs entretiens avec la résistante, poétesse et journaliste, Jorge Amat explore la vie dense et folle de Madeleine Riffaud, depuis ses premiers pas dans la Résistance jusqu’aux maquis du Sud-Vietnam.
Dans son appartement parisien, à 95 ans, la vieille dame, front plissé, traits durs, regard perçant malgré la cécité, déplie un récit sûr, précis, ponctué du pépiement des oiseaux qui l’entourent, dans leurs grandes volières. Vêtue de noir, cheveux nattés de côté, elle fume et se souvient, l’intime et l’histoire, et jusqu’à la première blessure, longtemps enfouie dans l’oubli, un viol enduré alors qu’elle devait passer, adolescente, la ligne de démarcation pour rejoindre le sanatorium. La tuberculose est tombée sur elle comme un malheur de plus, dans l’exode, alors que sa famille fuyait Paris occupée. De la maladie, elle se relève, pour embrasser le combat. « Je suis entrée dans la Résistance avec un nom d’homme, un nom d’Allemand, un nom de poète » : dans la clandestinité, elle sera Rainer, pour Rainer Maria Rilke. « Je suis un antihéros, quelqu’un de tout à fait ordinaire. Il n’y a rien d’extraordinaire dans ce que j’ai fait, rien du tout », insiste-t-elle.
Arrêtée et torturée par la Gestapo
Elle organise d’abord le ravitaillement des clandestins, puis passe à des actions « plus dures » : recrutements, planques, attaques de dépôts d’armes. L’affiche rouge placardée dans les couloirs du métro lui brise le cœur. Comme Missak Manouchian, comme Joseph Epstein qu’elle admire, elle est de ceux que l’occupant tient pour des « terroristes ». Ce mot-là lui reste encore en travers de la gorge : « Jamais nous n’attaquions des civils. Jamais nous ne faisions quoi que ce soit qui puisse les mettre en danger. On se serait plutôt fait crever. » Des explosifs cachés sous le manteau, dans Paris quadrillée par l’occupant, elle échappe par miracle à l’arrestation, grâce au langoureux baiser d’un camarade. La mort d’un ami abattu d’une balle tirée dans le dos, à bout portant, décuple sa rage. Elle se vengera. Sur le pont de Solférino, elle attendra que le soldat allemand qu’elle a choisi pour cible se retourne vers elle pour lui mettre deux balles dans la tempe. « Il n’a pas souffert. J’ai enfourché ma bicyclette, je suis repartie sur les quais. » Elle est arrêtée, conduite rue des Saussaies, au quartier général des SS. « La suite, je n’aime pas la raconter. » Elle est torturée, passe entre les mains de la police de Vichy, puis de la Gestapo, manque d’être fusillée, se soustrait in extremis à la déportation.
Oublier la fureur nazie, la boue, le sang
Quand l’insurrection éclate, elle est libérée de prison, prend part au combat, dirige la capture d’un train allemand aux Buttes-Chaumont. Ce soir-là, avec ses camarades, elle s’offre un festin : « Jamais depuis quatre ans nous n’avions si bien mangé. » Paris est libérée, elle a 20 ans, il faut oublier la fureur nazie, la boue, le sang. Mais elle se sent vide, n’a pas de métier, traîne sur le pavé, sans but. Elle est prête à se noyer, lorsqu’elle rencontre Claude Roy qui la présente à Aragon, Tzara, Vercors. Dans ses yeux, Éluard décèle une infinie détresse. Elle lui fait lire les poèmes griffonnés dans sa prison : « Je n’ai jamais donné vos noms / Je serai fusillée demain. » Il les fait publier, Picasso fait son portrait, elle apprend le métier de journaliste en couvrant les grèves.

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À Berlin, au Festival mondial de la jeunesse, elle rencontre le poète vietnamien Nguyen Dinh Thi, l’amour de toute une vie. Lorsqu’elle le retrouve à Hanoi en 1955, leur idylle fait grand bruit : « Tout le monde voulait nous marier, comme un symbole de la paix retrouvée. » Hô Chi Minh ne l’entend pas ainsi, il lui demande de repartir à Paris. Elle pleure. « On ne fait rien avec des larmes. Tu es journaliste : fais ton travail », tranche-t-il. Une autre guerre, déjà, s’est allumée.
Jamais, de ma vie, je n’ai vu une guerre aussi sale.
Madeleine Riffaud, à propos de la guerre d’Algérie
Au retour, l’Humanité l’envoie en Algérie. Dans ses reportages, elle témoigne des atrocités, de la violente répression qui s’abat sur tout un peuple : « Jamais, de ma vie, je n’ai vu une guerre aussi sale. » La tuberculose la rattrape, la cloue en France. Aux Algériens, elle dédie alors un recueil de poésie : Si j’en crois le jasmin. Le préfet Papon la poursuit pour ses articles sur « les caves qui chantent » où l’on pratique la torture à Paris et l’OAS la prend pour cible : elle est grièvement blessée dans une attaque au plastic.
Témoin des bombes sur Haiphong
À l’indépendance, Henri Alleg, qui a repris la tête d’ Alger républicain, la met en relation avec l’antenne du Front de libération du Sud-Vietnam dans la Ville blanche. Elle recueille les témoignages de ses membres, revient avec des photos. L’Humanité les publie, sous le titre : « La deuxième guerre du Vietnam a commencé ». Madeleine Riffaud se rend sur le front en 1964. Dans la forêt, dans les galeries souterraines, sous les bombes, elle restera trois mois auprès des combattants de la guérilla communiste, en ramènera, avec son confrère australien Wilfred Burchett, des images exceptionnelles de cette guerre d’indépendance.
Il n’y a aucune cause perdue, excepté celles qu’on abandonne en chemin.
Revenue au Nord, elle retrouve Nguyen Dinh Thi, qu’elle n’a jamais cessé d’aimer, et sera le seul témoin étranger de la première pluie de bombes déversée sur Haiphong par les B52 américains. Le retour dans l’atmosphère insipide de la France pompidolienne la désole. Elle se fait alors embaucher comme fille de salle dans un hôpital, en tire un récit poignant sur les vies de ces héroïnes anonymes. Les Linges de la nuit remportent un succès prodigieux.
Au crépuscule de sa vie, Madeleine Riffaud a acquis une certitude : « Il n’y a aucune cause perdue, excepté celles qu’on abandonne en chemin. » « J’ai toujours cherché la vérité. Au Maghreb, en Asie, Partout où des peuples se battaient contre des oppresseurs. Je cherchais la vérité : pas pour moi, mais pour la dire. Ce n’est pas de tout repos. J’ai perdu des plumes à ce jeu. J’en ressens encore les effets dans mes os brisés. Mais si c’était à refaire, je le referais. »
L’humanité, le 11 octobre 2020.

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