Pauvreté: à la tête du Secours Populaire français depuis près de six décennies, Julien Lauprêtre poursuit son « combat contre l’injustice »
« Abbé Pierre laïc », à la tête du Secours populaire depuis plus de six décennies, Julien Lauprêtre, décédé vendredi à 93 ans, a dédié sa vie à la lutte contre les injustices.
« Jusqu’au bout il a été présent », raconte Corinne Makowski, secrétaire nationale de l’association. « Ces derniers jours encore, il avait émis l’idée d’organiser un événement important en novembre, pour les 30 ans de la convention internationale des droits de l’enfant. »
Mort dans un hôpital parisien « des suites d’une chute », il n’aura pas eu le temps de mener à bien ce projet.
« La plus grande récompense, ce sont les yeux des gosses qui brillent », confiait-il encore à l’AFP en 2015. Un peu voûté par les années, il restait corpulent et vigoureux et n’envisageait pas de passer la main.
Né le 26 janvier 1926, ce « titi parisien » est resté fidèle au XIIe arrondissement de Paris où il a vu le jour. Fils unique d’un cheminot communiste et syndicaliste, il y a épousé Jeannette, « fille de concierge » rencontrée à l’âge de 10 ans, lors de ses « premières vacances ».
C’était en 1936 dans une colonie de vacances du Secours ouvrier international à La Rochelle, où il « voit la mer pour la première fois » en compagnie d’enfants français mais aussi espagnols, italiens ou allemands, ayant fui les régimes franquiste, mussolinien ou hitlérien.
Plus tard, il se souviendra de ces enfants pour créer « les Journées des oubliés des vacances », emblématiques du Secours populaire.
Suivant l’exemple de son père, il s’engage dans la résistance à 17 ans et forme un groupe « avec deux anciens copains d’école ». « On changeait l’orientation des panneaux de signalisation pour perdre l’occupant allemand. Notre coup d’éclat, ce fut d’enlever la barrière qui empêchait la circulation devant la caserne de Reuilly, occupée par les Allemands ».
Il prend ensuite contact avec la jeunesse communiste clandestine. L’action s’intensifie. « On prenait la parole dans les cinémas pour appeler à la résistance, on jetait des tracts à vélo ».
Le 20 novembre 1943, il est arrêté. « Je me suis retrouvé en prison avec Manouchian et les héros de l’Affiche rouge. Pendant huit jours, j’étais avec ces hommes, dans la même cellule ».
Manouchian, qui va être fusillé, lui glisse des mots gravés dans sa mémoire. « Toi tu es jeune, tu vas t’en sortir. Il faudra que tu continues à lutter contre l’injustice et être utile aux autres », se souvenait-il, la voix grave et le regard soudain voilé. « C’était un message extraordinaire, j’y pense tous les jours ».
– « La suite de la résistance » –
En février 1954, « le mois où l’abbé Pierre a fait son appel », Julien Lauprêtre, alors ouvrier miroitier, est embauché pour quelques semaines comme secrétaire administratif au Secours populaire. Il n’en est jamais reparti. « C’est là que j’ai retrouvé la suite de ce que j’ai fait dans la résistance ».
L’année suivante, il est élu à la tête de l’association, qui n’est à l’époque qu’une petite structure du parti communiste. Celui qu’on appelle parfois « l’abbé Pierre laïc » a façonné le mouvement à son image et l’a émancipé. S’il se dit « toujours communiste », il dit « avoir rompu avec l’idée d’un parti politique ».
« L’important, c’est d’être totalement indépendant », affirme celui qui a fait siens les mots de Louis Pasteur: « Je ne te demande pas quelle est ta race, ta nationalité ou ta religion, mais quelle est ta souffrance ».
Outre l’aide alimentaire, « première demande des plus déshérités », Julien Lauprêtre a mis les enfants au cœur des actions du Secours populaire. Pères Noël verts, Chasses aux œufs et « Journées des oubliés des vacances » sont devenus les emblèmes du mouvement qui compte un million de membres –« pas adhérents, précisait-il, car on n’adhère pas à la misère »– et 80.000 bénévoles.
« Offrir des vacances, ça ne règle pas tout mais c’est concret », répétait ce père de quatre enfants.
L’avenir du mouvement, « c’est de continuer à peser contre les injustices », disait-il.
En 2017, le président Emmanuel Macron l’avait élevé au rang de grand officier de la Légion d’honneur.